Nous avons mené l’enquête auprès d’une chirurgienne dentiste en exercice. Interview !
Une personne végétalienne risque-t-elle plus de problèmes bucco-dentaires qu’une personne omnivore?
Ce n’est pas le mode alimentaire qui compte, mais la façon de le mener, et la façon de s’occuper de ses dents. Certaines personnes doivent être encore plus vigilantes que les autres. Vous êtes à risque si :
Votre brossage n’est pas optimal (fréquence et/ou durée insuffisante, mauvaise technique, pas de nettoyage des espaces interdentaires, handicap ou perte de mobilité);
Vous avez eu ou avez des traitements qui font diminuer votre sécrétion salivaire (car oui, la salive a un rôle protecteur !);
Vous avez des antécédents familiaux, souffrez ou avez déjà souffert d’une maladie parodontale, ou vous avez tendance à développer souvent des caries;
Votre système immunitaire est fragile (c’est le cas lorsqu’on souffre de certaines maladies chroniques comme le diabète ou l’asthme, ou des maladies cardiaques …);
Votre apport alimentaire est très fractionné (beaucoup de petites collations), vous consommez des produits industriels qui « collent aux dents », des jus acides et des sodas, ou vous souffrez de troubles du comportement alimentaire;
Vous exercez une profession à risque (cuisinier(ère), pâtissier(ère)…);
Vous consommez une grande quantité de carbohydrates et/ou de fruits acides;
Vous surconsommez des boissons énergisantes et des suppléments alimentaires (c’est le cas pour certains sportifs de haut niveau).
Dans tous les cas, maintenir une hygiène optimale et consulter régulièrement un.e dentiste est nécessaire.
Mais l’alimentation joue quand même un rôle ?
Oui, bien sûr. Par exemple, les aliments mous et collants sont moins bons pour la santé des dents que les aliments plus durs et fibreux, qui nettoient mécaniquement les surfaces au lieu de s’y agglomérer. Croquez des pommes !
La fréquence des apports (y compris en boissons sucrées) joue aussi un rôle. La salive contient du fluor, et de nombreux minéraux, provenant de l'alimentation. Elle va reminéraliser et renforcer l'émail après les repas. Mais ce processus est beaucoup plus lent que la déminéralisation. Voilà pourquoi il est préférable de ne pas grignoter en permanence, pour que l’acidité ait le temps d’être neutralisée et l’émail reminéralisé.
Enfin, l’alimentation doit être suffisamment qualitative pour apporter les micronutriments nécessaires à la bonne santé de la sphère orale…
Quels sont ces micronutriments ?
La bonne santé des dents mais aussi des os de la mâchoire (comme des autres os du corps) dépend d’apports suffisants en calcium et vitamine D, que l’on soit végétalien.ne ou omnivore.
Pour le calcium, le grand public a parfois le sentiment que les produits laitiers en sont la seule source. C’est inexact, vous trouverez un calcium très biodisponible dans les amandes, haricots verts, brocolis, petits pois, carottes, tofu, persil frais, figues sèches ...
L’eau est aussi une source non négligeable de calcium ! Certaines eaux minérales sont même très riches en calcium très biodisponible (Contrex : 467 mg/L, Courmayeur : 517 mg/L, Hépar : 555 mg/L). L’eau du robinet de la ville de Paris apporte 90 mg de calcium par litre, celle de Lyon apporte 75 mg de calcium par litre.
Concernant la vitamine D, qui est essentielle pour que le calcium soit correctement absorbé, en France, une bonne partie de la population serait carencée en vitamine D, surtout en hiver, car la vitamine D est synthétisée par la peau lors de l’exposition au soleil. N’hésitez pas à vous supplémenter si vous vivez beaucoup à l’intérieur, ou dans les régions du Nord.
La vitamine D est d’origine animale, non ?
La vitamine D3 disponible habituellement dans le commerce est en effet le plus souvent tirée de la lanoline, qui est la graisse qui couvre la laine des moutons. Mais il existe désormais aussi de la vitamine D3 végétalienne dérivée de lichens, disponible dans les magasins bio, en boutiques véganes ou par correspondance. Et c’est tout aussi efficace, bien entendu.
D’autres micronutriments importants ?
Une carence en vitamine B12 (qui est la seule vitamine très peu présente dans les aliments d’origine végétale car fabriquée exclusivement par certaines bactéries), peut être associée à des gingivites, des stomatites, une pâleur des muqueuses, ou une inflammation de la langue.
De toute façon, on sait aujourd’hui qu’une alimentation végétalienne équilibrée comporte nécessairement une supplémentation en B12, très facile à prendre.
Mais d’une façon générale, concernant les autres vitamines des groupes A, B, C, et E, qui sont aussi nécessaires à une bonne santé buccale, notamment en raison de leur pouvoir antioxydant et de leur rôle dans la cicatrisation, les végétalien.ne.s qui consomment beaucoup de fruits et légumes auraient plutôt moins de risques de souffrir de déficits que la population générale.
Fluor ou non ?
Si on est en bonne santé et pas « à risque », qu’on mange des aliments de qualité avec moins de 5 prises alimentaires par jour et que l'on a une bonne hygiène buccale, le fluor provenant de l'alimentation (en particulier : algues, sel fluoré, thé, café, vin, fruits et légumes frais) peut suffire.
Mais si vous êtes plutôt dans la catégorie « à risque », si vous mangez ou grignotez plus de 5 fois par jour, si vous consommez une alimentation industrielle avec peu de fruits et légumes, alors vous aurez besoin d'un apport de fluor externe pour renforcer vos dents.
En bref, si vous êtes « à risque » de caries, vous aurez besoin d’un dentifrice fluoré. Les sels de fluor ont une activité démontrée contre les caries, alors que la plupart des autres ingrédients sont des ingrédients « marketing ». Attention, pour que le fluor contenu dans le dentifrice ait le temps de se fixer sur les dents, la durée de brossage doit être suffisante (trois minutes matin et soir).
Et pour les personnes qui souhaitent éviter les déchets plastiques ?
Il existe des dentifrices solides, comme ceux de la marque Pachamamaï (vegan friendly, made in France, rechargeables), dont les poudres sont calibrées pour être utilisées au long cours, et qui ne risquent pas d’être trop abrasifs. En revanche ils ne contiennent pas de fluor, donc ne conviendront pas à tout le monde. Idem pour les dentifrices DIY, dont l’abrasivité est difficile à quantifier.
Si vous souhaitez fabriquer vous-mêmes votre dentifrice, en général, il vaudra mieux utiliser du carbonate de calcium, moins abrasif que l’argile ou le bicarbonate, ou même du dentifrice au savon liquide saponifié à froid, comme le savon de castille, ou le savon de Marseille.
Tout le monde peut essayer les dentifrices solides alors ?
Je déconseillerais les dentifrices solides à deux catégories de personnes : celles qui ont un risque carieux élevé et celles qui souffrent d’immunodépression.
Pour les autres, on peut essayer sans inquiétude. Dans tous les cas, si vous utilisez ce type de dentifrices, je recommande d’en informer votre dentiste pour qu’il/elle vérifie régulièrement la propreté des dents et s’assure qu’il n’y a pas d’érosions ni de caries. Et faites attention à avoir votre propre petit contenant pour éviter les contaminations bactériennes entre les membres d’une même famille.
C’est quoi pour vous un dentifrice végane et écoresponsable?
Pour les personnes qui ne souhaitent pas participer à l’exploitation d’animaux, un dentifrice « éthique », c’est d’abord un dentifrice qui ne contient pas de produits d’origine animale et qui n’est pas testé sur les animaux.
Or des marques comme Signal, Fluocaril, Parongencyl et Zendium, par exemple, sont des marques du groupe Unilever qui utilise les animaux pour tester une partie de ses produits et de ses principes actifs. Par ailleurs, ce même groupe (comme d’ailleurs l’entreprise américaine Colgate-Palmolive, qui possède Colgate, Elmex et Meridol), est régulièrement mis en cause pour son rôle dans le travail des enfants et le travail forcé dans les plantations indonésiennes de palmiers à huile. D'autres grands groupes comme Henkel (Vademecum, Teraxyl) sont aussi impliqués dans divers épisodes dévastateurs pour l’environnement…
Les dentifrices traditionnels contiennent souvent beaucoup d’ingrédients de synthèse dont l’impact écologique est négatif. Par exemple, on peut chercher à éviter le sodium laurylsulfate (SLS), ce tensioactif dérivé de l’huile de palme, qui, de plus, serait irritant à la longue pour les muqueuses, selon certaines études.
Vos chouchous ?
Si l’on a besoin d’un dentifrice fluoré, il existe des dentifrices bio et véganes, à la composition minimaliste mais qui contiennent 1400 ppm de fluor, comme le Lavera dents sensibles à la camomille et à l’arginine, que j’aime beaucoup, peu cher et facile à trouver en magasin bio, et parfait pour les dents sensibles au chaud et au froid, mais aussi pour lutter contre les caries.
Pour une option sans fluor adaptée pour les gencives sensibles, on peut essayer la pâte dentifrice saline Weleda, qui associe le bicarbonate de soude au sel marin, qui active la sécrétion salivaire, avec une abrasivité compatible avec un usage quotidien.
Et je trouve les dentifrices solides de Pachamamaï très pratiques en voyage.
Mais je voudrais insister sur un point : le dentifrice n’a qu’un rôle secondaire dans le brossage. Le plus important, c’est d’avoir une bonne technique de brossage, adaptée à ses dents, et d’utiliser les bons outils.
Quels sont ces outils ?
D’abord une bonne brosse à dent. L’objectif premier du brossage des dents est de décoller l’agrégat bactérien accroché à la surface des dents : la plaque dentaire. Il faut une véritable action mécanique pour parvenir à la détacher. Une action de frottement.
Qu’entendez-vous par « une bonne brosse à dent » ?
Elle doit avoir :
Une tête pas trop grosse pour passer partout;
Des brins de différentes longueurs, et de préférence effilés aux extrémités pour un nettoyage en profondeur, surtout entre les dents et dans le sillon gingival;
Des brins implantés selon des angles différents pour un brossage dans plusieurs directions;
Elle sera souple ou medium, mais pas dure.
Si vous avez des problèmes de mobilité, optez pour une brosse à dents électrique avec une tête de brossage douce. Et changez de brosse à dents dès que les brins commencent à s'évaser.
J'avoue ne pas avoir encore trouvé d'option "zéro déchet" qui satisfasse tous ces critères.
Dans tous les cas, la brosse à dents ne suffit pas. La brosse à dents seule n'élimine que 50-70% de la plaque dentaire dans la bouche, car il y a des zones qu’elle ne peut pas atteindre : les espaces interdentaires, qui se situent, comme leur nom l’indique, entre les dents.
Nettoyer ses espaces interdentaires, c’est primordial pour éviter des départs de caries entre les dents et des problèmes gingivaux ou osseux.
Comment nettoyer ces espaces ? Avec des bains de bouche?
Non, les bains de bouche n’ont qu’un rôle secondaire dans ce cas, car la plaque dentaire doit être décollée mécaniquement, par une action de frottement.
Vous aurez besoin de deux accessoires : des brossettes interdentaires et du fil dentaire. A faire une fois par jour, pas moins ! Pour les brossettes, insérez une brossette -de taille adaptée à chaque espace- entre les dents, retirez, et l’espace sera nettoyé efficacement et en douceur. Si les brossettes n’ont pas assez de place pour passer, utilisez un fil dentaire.
Merci au Dr B. pour ces précieuses informations !
Pour aller plus loin :
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